
C'est l'histoire de Corentin dont je vais taire l'âge, volontairement, pour le moment..
Corentin est l'aîné d'une fratrie de trois garçons. Sa vie a basculé en novembre dernier et il n'en a pas perdu une miette, il a tout compris...
Corentin est né un certain premier novembre. Il était très attendu, surtout par sa maman, alors âgée de vingt-sept ans. Sa maman...
... est une jeune femme pleine de vie et de malice. Sa gouaille, aux multiples mimiques, qui a accompagné mes années de lycéenne, est le reflet de sa personnalité épurée, dépourvue de fioritures, de sa spontanéité. Elle fait partie de ces rares personnes exemptes de mauvaises intentions, sur lesquelles la méchanceté ne trouve aucun point d'ancrage. C'est une "Amélie" en quelques sortes, désirant avant tout rendre les autres heureux, les deviner amoureux, s'extasiant des petites notes positives et encourageantes jalonnant leur vie. Elle s'approprie les bonheurs des autres et ne les échangerait pour rien au monde au profit du sien. Au vu du vif engouement de ses réactions (à noter : les verbales au fort accent léonard), nul doute qu'aucune idée vile et intéressée n'a jamais trouvé asile chez elle. C'est un être pur comme il en existe peu. Cette rareté me fait prendre conscience, aujourd'hui encore, de sa valeur inestimable et de la chance que j'ai eu de la rencontrer. Elle se donne sans compter et trouve cela normal. Elle n'a jamais pris soin de protéger d'une carapace son coeur de guimauve, fondant à souhait (ou peut-être devrais-je dire, pour rester dans le Léon, son coeur d'artichaut?)...
La maman de Corentin croit au prince charmant, à l'amour inconditionnel, à l'harmonie des coeurs, quitte à s'effacer un peu trop derrière des volontés et des valeurs qui ne sont pas les siennes. C'est donc une proie facile qui sera vite enlevée par un prince, en effet, mais pas si charmant que ça... Il lui promettra un mariage rempli de cierges ivoires, de roses rouges et de satin blanc. Il l'épousera finalement dans la lueur blafarde d'une salle communale pour pouvoir, dès le lendemain, activer un prêt bancaire. En matière de destrier immaculé, elle rêvait et méritait mieux. Asservie, prise au piège d'une prison dorée, les désillusions iront croissantes. Ses doux rêves ouatés ne résisteront pas à l'abrasive cruauté de son compagnon. Sauf un...
Corentin viendra remplir la blessure béante de l'amour et des meurtrissures. Matériellement, il ne manquera de rien tandis qu'affectivement, il se nourrira d'un amour exclusivement maternel. Il grandira dans la conscience de sa mère constamment rabaissée, puis humiliée et finalement opprimée. Quoique... en a-t'il réellement conscience ou est-ce pour lui d'une banale réalité? C'est justement cette référence que sa mère, mutilée de manipulations perverses, veut lui éviter, ainsi qu'à ses frères. Lorsqu'un jour, ce déjà triste décor familial se pare de menaces de mort, Corentin ne rentrera pas à la maison pour goûter après l'école. Il ne rentrera plus jamais...
Dans un abri d'infortune, il provoque alors sa mère sur son choix et ce changement radical. Mais il observe aussi sa maman panser ses plaies, une à une ; il la sait fragile mais tendue de toutes ses forces vers l'espoir du renouveau. Corentin a changé d'école, il n'a plus de chambre pour lui tout seul, il ne voit plus sa mère sortir son chèquier lorsqu'elle part faire les courses, il ne connait de restos que ceux du coeur et ses nouveaux vêtements lui arrivent sans étiquette... Mais peu importe ! Sa maman s'ouvre à la vie telle une fleur. "Maman, tu es la plus belle du monde, aucune autre à la ronde n'est plus jolie que toi" fredonne la chanson. Corentin rêve déjà d'un nouveau papa parce-que, dans une famille, il faut un papa, se dit-il. Mais aussi parce-qu'il a probablement compris que sa mère, comme toute femme, s'enivre de regards amoureux, se nourrit d'attentions et s'épanouit de tendresse.
Jamais je n'oublierai la gravité de son regard lorsque, du haut de ses cinq ans, Corentin me dit "nous, on n'a pas de chance" et moi de lui répondre, non sans un trémolo dans la voix, "la roue tourne, Corentin, tu verras..."