"...Elle a passé une échographie...Elle n'a pas vu son bébé bouger...Elle a pensé qu'il était mort..."
Ce pourrait être la confidence désemparée d'un ami ou d'un frère concernant sa compagne ; ou bien celle d'une mère impliquée dans la grossesse de sa fille. Un fragment d'intimité... La convivialité d'une pause café... L'énième verre d'un soirée bien arrosée propice au lacher-prise...
Rien de tout cela !
Ces quelques bribes me sont parvenus en longant le port, pour rentrer chez moi, un sac de provisions sous le bras, un soir... Ils correspondent à ce qu'a le temps d'entendre une personne qui en croise une autre parlant dans son téléphone portable. Je me suis presque sentie gênée d'être le témoin anonyme d'une confidence si impudique. Ces mots dansaient dans ma tête bien après avoir croisé ce passant peu discret. "échographie"..."pas bouger"..."mort"... peut-être...
Je me suis prise à songer à cette femme, totalement inconnue, dont il révélait si ostentatoirement, la détresse intime. Je l'ai imaginée, allongée sur la table d'examen, la gorge soulevée de palpitations régulières, alors qu'une poire froide et intrusive venait espionner son espoir, le petit hôte encore à découvrir de son ventre. Un premier enfant... peut-être... Elle scrute l'écran, guettant les mouvements de ce petit bout d'elle mais elle ne les voit pas. Son attention se porte alors sur l'expression soucieuse, les sourcils froncés du médecin, dont la main fait nerveusement bouger la sonde de l'échographe dans tous les sens.
"Madame, il y a un problème... votre bébé ne bouge pas". Est-ce ce qu'il lui a dit? Ou quelques mouvements sont-ils venus la rassurer au bout de quelques secondes, de quelques minutes ou quelques heures? Je ne le saurai pas... C'est normal ! Je ne la connais pas. Ce n'était que quelques bribes qui ne m'étaient pas destinés mais qui, l'espace d'un instant, m'ont fait partager l'angoisse si intime, éphémère ou plus durable d'une femme... Une femme comme moi...
Avec le téléphone portable qui a envahi le moindre interstice de nos vies, assister à ce genre de conversation, très personnelle, est finalement devenu banal. Je me souviens aussi avoir été, à la caisse d'un hypermarché, aux premières loges, pour assister à la dispute entre le client qui me précédait et sa compagne, par le biais d'un téléphone... Combien de morceaux de vie privée nous parviennent ainsi tous les jours, par des personnes peu scrupuleuses d'exhiber leur vie? Ca en devient pitoyable cette propension qu'ont certains utilisateurs de téléphonie mobile à nous faire profiter (ou plutôt imposer !) leur piètre quotidien (du conseil demandé pour le choix d'un camembert au genre de propos à l'origine de cette note...).
Je suis moi-même utilisatrice de téléphone mobile comme d'autres nouveaux moyens de communication (sur le PC : Messenger par exemple). Mais je le laisserai toujours sonner dans le vide pour ne pas ignorer et privilégier l'échange direct avec une caissière ou tout simplement pour le respect des usagers d'un lieu public. A chacun son utilisation des nouveaux moyens de communication ! Pour ma part, j'ai choisi et je fais en sorte de ne pas les utiliser comme des organes indispensables à ma survie sociale, des greffons sans lesquels rien n'est possible. Parce-que lorsque nous sômmes le téléphone collé à l'oreille, notre regard fixe le bitume et non la personne que l'on croise...